Wednesday, March 21, 2007

Les apparitions de Campitello, Corse, 1899

Les apparitions de Campitello firent beaucoup - malgré leur impact presque exclusivement local, pour réveiller la dévotion mariale en Corse, et même dans le reste de la France, car la presse parla longtemps de ces faits, qui furent très spectaculaires.
Tout commença le 26 juin 1899: Maddalena Parsi dite Llellana, une fillette de quatorze ans, pieuse, très calme et sérieuse, alla chercher du bois mort à quelque distance de son hameau natal de Campitello: une localité pauvre et ignorée du canton de Costera, en Corse. Elle était à quelque deux ou trois cents mètres du village, récitant son chapelet tout en ramassant des branches, quand elle entendit, autour d'elle, un chant si suave qu'elle en resta un peu étourdie, comme toute ravie. Une de ses cousines qui l'avait accompagnée entendit également l'exquise mélodie: elle se nommait Perpétue Lorenzi. Quand le chant cessa, Llellena se retourna pour parler de cet inexplicable phénomène avec sa cousine, et elle vit, sur un rocher non loin d'elles, une Dame, vêtue tout de blanc, un voile bleu sur la tête, souriante...
Perpétue aussi voyait l'apparition, et les deux fillettes tombèrent à genoux, saisies par une extase qui dura plusieurs heures. Lorsque ce fut terminé et qu'elles reprirent leurs sens, les deux amies coururent au village et relatèrent leur vision. On sourit gentiment: Llellana et Perpétue étaient des filles calmes, incapables de mentir, très aimées du village mais elles avaient bien pu rêver, non? Et l'affaire sembla devoir en rester là. Des curieux voulurent se rendre sur les lieux, pour voir... car il n'était pas, à vrai dire, question de prier: la population s'était beaucoup déchristianisée et passait plus de temps à la préparation de vendettas, parfois meurtrières, qu'à la prière et à la fréquentation de l'église. Et, jusqu'au mois d'août, quelques pieuses femmes et des fillettes, qui allaient dire le chapelet dans ce site d'une beauté sauvage et grandiose, prétendirent avoir vu parfois une belle Dame sur le rocher. Mais étaient-ce des illusions de bigotes et d'enfants simplettes, non?

Le 26 août, plusieurs personnes s'étaient réunies près du rocher, lorsque certaines tombèrent à genoux: comme foudroyées! Elles semblaient évanouies, et l'on craignit bien ne pouvoir les ranimer. Elles dirent aux assistants qu'elles avaient vu la Dame.
Les apparitions commençaient à prendre une portée plus spectaculaires. Llellena et Perpétue, qui venaient prier régulièrement sur les lieux, avaient des visions d'une grande sobriété et recevaient des messages assez personnels, qu'elles ne rendirent pas publics: seules ces paroles furent transmises par Llellena:

- Vous ne savez pas combien vous gagnez d'indulgences, quand vous récitez le Rosaire!

Dès le 4 septembre, certains voyants sombrèrent à l'occasion des apparitions dans une sorte de somnabulisme qui leur faisait faire des choses étranges comme se jeter des pierres, grimper dans les rochers, malgré de graves risques de chute, se traîner dans les ronces et les épines sans se blesser, ramper comme des chats, sauter comme des cabris, pour atteindre le rocher très escarpé où l'apparition se tenait: là, ils devenaient très calmes et silencieux, n'ayant aucune égratignure. Puis ils se mirent à diriger les travaux qu'une force, ou plutôt une personne mystérieuse, semblait exiger de la population: aménager une place devant le rocher de l'apparition, pour y dresser une croix: déplaçant les blocs de pierre sans aucun effort, ils parvinrent très rapidement à faire aboutir le projet, sans cesser pour autant leurs prouesses et leurs batailles. On appelait ces visionnaires les somnambules. On constata bien, et très vite, que ces somnambules étaient recrutés, si l'on peut ainsi dire, parmi les éléments durs et irréligieux de la population, et on pensa que Dieu, ou la très Sainte Vierge, voulait leur faire expier par une sorte de possession diabolique et ces rudes travaux d'aménagement tous leurs manquements, quant à la pratique religieuse.
D'autres personnes, isolées ou en groupe, avaient à l'occasion des visions rapides, très belles, que le groupe des somnambules pouvait contempler aussi, en manifestant cependant une grande crainte. Certaines personnes avaient des extases: Llellena, Perpétue, et encore vingt-deux autres personnes, ce qui porta le nombre de voyants à 24.

Le curé suivait les faits et recevait tous les témoignages des voyants et des spectateurs, mais il restait réservé. Pourtant, la pratique religieuse à peine survivante reprit vigoureusement, l'église se trouvait constamment pleine, on se confessait régulièrement, le blasphème, fort répandu, disparut sur toute la paroisse, des familles se réconcilièrent à l'ahurissement de ceux qui les connaissaient: Dieu sait si les vendettas sont féroces en Corse!
Pendant longtemps, la Dame apparu seule, en prière sur le rocher, demandant la récitation du chapelet. Parfois, elle se manifesta dans un châtaigner, tout en haut du rocher.
Le 7 novembre 1899, la Vierge apparut curonnée, et elle portait l'Enfant-Jésus sur le bras gauche, et, de la main droite, présentait le rosaire. Six anges l'entouraient, et sainte Anne se tenait à ses pieds en prière. L'Enfant Jésus portait un globe avec une petite croix. Tous avaient la même vision.
Entre temps, plusieurs incrédules qui venaient pour se moquer des visionnaires, furent convertis à la réalité des manifestation par des apparitions: ainsi le maréchal des logis de la gendarmerie de Vico avec sa femme et son fils, qui virent la Vierge, dans une auréole de lumière; ainsi le concierge du collège de Bastia, venu pour faire cesser le fanatisme, comme il disait, et qui vit un autel chargé de cierges tout étincelants et de fleurs, avec le Saint Sacrement, et ensuite la très Sainte Vierge: la scène dura presque une heure. En janvier 1900, la Vierge commença à parler à tous les voyants:

- Je suis venue pour empêcher la guerre, je me montre pour que le monde croie!

A cette époque, Llellena entra chez les Bénédictines d'Erbalunga: elle le désirait depuis longtemps et les dix-huit apparitions dont elle avait été favorisée renforcèrent sa vocation. Au matin du départ de Campitello, elle alla prier avec sa famille et divers amis sur le lieu de l'apparition. Quand elle se leva, une énorme touffe d'oeillets sauvages, très parfumés, s'épanouit à l'endroit où alle s'était agenouillée!
Le 26 décembre 1899, un peu d'eau avait suinté au pied du rocher des apparitons, dans le maquis aride. Personne n'y avait prêté attention. En janvier, cette maigre exsudation était devenue une source abondante, aux eaux fraîches et limpides. Une jeune femme malade de Lama, Virginia Bertola, clouée au lit par un grave rhumatisme articulaire, invita son curé à commencer à son intention une neuvaine à la Madone, et appliqua à l'endroit douloureux une compresse d'eau de la Madone de Campitello et quelques feuilles du châtaigner: en récitant le rosaire quelques jours plus tard et ayant au prix de douleurs effroyables assité à la messe du dimanche pour la première fois depuis quatrorze mois à peu près, elle se retrouva instantenément guérie! Le rapport médical de cette guérison fut envoyé à Rome.
L'évêque de Bastia s'informait des apparitions: il fit demander le 5 janvier 1900 au Saint-Office si, devant l'ampleur des faits, il y avait lieu d'ouvrir, même très discrètement, une enquête canonique. Durant des mois on attendit la réponse de Rome, qui arriva à la fin du mois de septembre: l'enquête ne s'imposait pas, il fallait suivre les faits et interdire à tout membre du clergé d'intervenir directement pour diriger la prière ou s'occuper des voyants: seul le bon curé de Campitello avait pouvoir!

Le 7 janvier 1900, la Vierge se montra agenouillée, portant l'Enfant Jésus: tous deux étaient très richement vêtus, couronnés et entourés de lumières: une grande procession de saints et d'anges arriva et vint adorer l'Enfant Jésus, qui s'était relevé. Tous les assistans sentirent distinctement une délicieuse odeur de cire chaude: or les saints et les anges portaient de grands cierges, ce que les voyants précisèrent après l'apparition!
Le 13 février, ce fut l'apparition de la Pietà, tenant le Christ ensanglanté sur son giron: émus et bouleversés par la vision, les voyants pleuraient en récitant leur chapelet. Tous les voyants étaient des enfants, les somnambules avaient cessé leur travail, ils s'étaient fondus dans l'anonymat. Les extases du petit groupe des voyants étaient très dignes et très belles, on récitait le rosaire tous les soirs, et on faisait parfois de grandes processions en chantant: la Vierge Marie montrait le chemin à suivre, et tous les soirs la procession s'achevait à l'église devant le Très Saint Sacrement, pour l'adoration. Après ces exercices de piété, on revenait au rocher en passant par une chapelle dédiée à saint Roch, où l'on devait faire le chemin de croix, puis la très Sainte Vierge se montrait de nouveau, entourée d'anges, et montait silencieusement vers le ciel dans un nuage lumineux, escortée par des anges.
Le 21 février, la Vierge apparut devant une église magnifique, très élancée: trois sources limpides jaillissaient sur le parvis. Le 15 mars il y eut encore la vision de ce sanctuaire, aux trois porches ouverts: sous le premier se tenait la Vierge, toute radieuse et couronné d'étoiles, portant l'Enfant et entourée d'anges. Sous le second, un grand rideau de soie cachait un lieu d'où sortaient des gémissements mêlés à des prières. Sous le troisième, un panneau à gonds massifs barrait un lieu d'où on entendait très confusément des hurlements de terreur et de haine... Sous le porche où se tenait la Vierge, un choeur invisible faisait entendre une musique suave, et entre ce porche et l'autre, représentations symboliques du paradis et du purgatoire, un grand crucifix étendait ses bras, un peu en surblomb.

Les vision se poursuivaient ainsi, suivant les jours et le temps liturgique. Les voyants recevaient des messages qu'ils écrivaient sur des feuillets que leur passaient les assistants. Or tous les voyants - des enfants de paysans pauvres - étaient illettrés! Ces messages sont assez sobres, brefs, mais denses:

- Je suis la très Sainte Vierge et je porte dans mes bras Jésus tout ensanglanté. Oh, mes pauvres chers enfants, priez! Pauvres pécheurs, priez, sinon le démon vous emportera en enfer. Priez, priez!
- Je suis l'Immaculée Conception, je viens sauver le monde qui est trop emporté dans les plaisirs frivoles.
- Je suis venue dans ce village pour retenir mon divin Fils de punir les pécheurs. Peuple, à genoux! Priez pour ceux qui font de la peine à mon Fils, à Notre-Seigneur Jésus-Christ!
- Je suis la Vierge immaculée, qui est toujours bonne envers les pauvres pécheurs. Le bras de mon Fils est trop pesant, priez, priez!
- Priez, peuple de la Sainte Vierge, si vous désirez un jour le Paradis!


Un jour, sainte Anne fit à la Vierge une prière en faveur de l'humanité:
- Vous voyez que le monde n'est que trop pécheur! Sauvez-le en priant votre divin Fils!

Ces apparitions de Campitello ressemblent assez, comme on peut le voir, à celles de Tilly-sur-Seulles, qui se déroulaient aussi à la même époque, à l'autre bout de la France. Les analogies sont remarquables: il semble que Campitello ait pris de relais de Tilly (les faits de Tilly finirent le 25 avril 1899, ceux ce Campitello débutèrent le 26 juin suivant). Et les demandes sont les mêmes: prière, pénitence, rosaire et dévotion à la Passion du Christ. A Campitello, on a pu voir des phénomènes identiques à ceux de Tilly, des lumières dans le ciel, des pluies d'étoiles tout au long des apparitions etc.... Et il y eut là, comme à Tilly, des voyants qui avaient des apparitions démoniaques. Les faits durèrent à Campitello jusqu'aux premiers mois de l'année 1903. On constata que quelques voyantes étaient insensibles à la flamme ardente de leurs cierges: Perpétue Lorenzi, dont le bras puis la gorge furent léchés par la flamme pendant un intervalle de six minutes, Lucie Graziani qui tenait son cierge de façon à ce que la flamme lui léchât la main et se séparât entre ses doigts, et qui reçut de la cire brûlante dans l'oeil, tout ceci sans dommage et sans souffrance aucune.

Deux villages voisins furent le théâtre d'apparitions diaboliques: le hameau de Bigorno, à partir du 5 décembre 1899: à des visions discutables quant au contenu théologique se mélaient des apparitions à faire frémir: énorme chat aux yeux rouges, monstres menaçants. Le champ des apparitions se couvrait d'un tapis de lumières violettes que l'on pouvait prendre à pleines brassées, des voyants traçaient, avec leur langue, des croix de sang sur le pavé d'une chapelle désaffectée, une fontaine de sang jaillit dans cette même chapelle, derrière l'autel. A Lento, dès le 13 février, des phénomènes identiques se produisirent: grâce à l'intervention du curé, du maire et de queles personnes sensées, tout cessa rapidement. Mais, aux prodiges diaboliques de Bigorno, se mélèrent des faits plus dignes, plus beaux: apparitions graves à l'intérieur de la chapelle, visions de la passion et appels à la pénitence et à la prière. Peut-être deux ou trois voyants eurent-ils d'authentiques grâces de provenance céleste, mais tout fut si embrouillé qu'à présent encore les documents ne permettent pas vraiment de discerner. A Campitello, il y eut vraiment un groupe de voyantes très remarquables: Maddalena bien sur, et sa cousine Perpétue Lorenzi, ainsi que Ursule Arrighi, Lucie et Contessa Graziani. Toutes furent de très bonnes catholiques et vécurent saintement, trois entrèrent en religion. Maddalena était si sainte que, plusieurs fois, les bénédictines d'Erbalunga allèrent avec elle à Campitello. Et rien n'est plus frais à la lecture que cette description de la Vierge par la pretite Contessa Graziani:

- La Vierge était debout sur le rocher, pieds nus, et qutre anges se tenaient à genoux autour d'elle, le regard levé vers elle: les deux plus rapprochés se prosternaient, ils étaient vêtus de bleu, les autres étaient vêtus de blanc. Et elle avait une couronne, formée de deux rameaux fixés par un ruban bleu, qui flottait sur les épaules, et composé de roses blanches entremêlées de boutons de fleurs d'oranger. Et devant elle brûlaient cinq cierges placés sur cinq chandeliers d'or.

Comme pour les faits de Tilly, l'Eglise ne s'est pas prononcée sur les apparitions de Campitello. Le temps est passé, mais les fruits spirituels se sont maintenus: conversions, renouveau spirituel, paix.

- L'esprit de parti avait semé la désunion, la discorde. Les pratiques religieuses étaient vraiment délaissées, la médisance et la calomnie étaient à l'ordre du jour, on se faisait un jeu de se haïr, de se nuire; la corruption avait gagné les coeurs et le blasphème courait par les rues, nous étions perdus, sans ressource. Rien n'y faisait: il n'y avait plus de remise pour nous. C'est alors que la Sainte Vierge, qui ne voulait pas nous laisser là à périr, a tenté un grand coup. Elle s'est jetée au milieu...

Telle fut la conclusion du facteur de Campitello, le brave Dionisio, à une question de l'évêque, et c'est bien celle de tout le monde: Marie a vaincu le démon et l'a chasssé du village et des âmes.

R. Kling, "Rosa Mystica", N° 30, Mars-Avril 1980, Centre Bethania, Chaussée de Waterloo, 25 B-5000 Namur.

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