Philippsdorf, longtemps appelé "Le Lourdes allemand", se trouve maintenant dans la République tchécoslovaque: à l'époque des apparitions, ce petit village des Sudètes fut le pélérinage national des allemands qui formaient dans la région une petite colonie très fervente et active. Les guerres ont modifié à l'aveuglette les frontières et bouleversé les limites territoriales des pays.
En 1866, Philippsdorf était un tout petit village blotti dans une vallée peu profonde et cerné de molles montagnes boisées. A ce moment, personne ne se souciait de ce lieu insignifiant... Dans la maison N° 63, il n'y avait qu'une pièce assez vaste, sombre et peu meublée: dans un coin, un grand lit à baldquin et à rideaux abritait une pauvre fille à moitié morte, Magdalena Kade.
Magdalena était la fille de pauvres tisserands, née le 5 juin 1805 dans une hutte au toit de chaume et aux murs de planches.
Malgré la misère de la famille, les années d'enfance et d'adolescence de Magdäle, comme on la surnommait affectueusement, furent sans conteste les plus heureuses, car à l'âge de 19 ans elle fut prise d'une grave maladie, une sorte d'inflammation des poumons et de la cage thoracique, accompagnée de crampes et de syncopes douloureses. Il fallut se résoudre, la mort dans l'âme, à lui administrer bientôt le sacrement des malades, car elle semblait à toute extrémité. La famille était pieuse, les nécessités spirituelles passaient avant toute occupation matérielle. La mère et le frère de la jeune fille prièrent et multiplièrent neuvaines et rosaires, tant et si bien que Dieu, touché par tant de ferveur, accorda la grâce, ardemment souhaitée, sinon d'une guérison, du moins d'une nette amélioration.
Mais la santé de Magdäle restait en fait assez chancelante, et sa mère la soigna, avec amour et délicatesse, pendant sept ans à peu près. Entre-temps, Josef, le frère unique et très aimé, s'était marié à une pauvre mais pieuse jeune fille des environs. La hutte de planches au toit de paille n'abritait que les deux femmes, la mère et la fille. Magdäle eut l'occasion de travailler quelque peu, pendant les intervalles de répit que lui laissait son mal. Mais en 1861, la mère mourut, et la jeune fille demeure seule dans la hutte, portant ses épreuves avec foi et priant constamment.
Certes, elle eût bien voulu trouver un époux chrétien, bon et travailleur, mais à qui fût venue l'idée de se marier avec elle? A moitié invalide, pauvre et seule, elle sut, grâce à sa foi profonde, accepter et offrir à Dieu toutes ses peines, physiques et morales. Elle avait quelquefois songé au couvent, mais qui était-elle pour prétendre à cet honneur? Alors elle restait une malade tout abandonnée à Dieu. C'était là sa vocation, elle s'efforça de la remplir au mieux.
En 1864, elle put entrer en service dans la famille Kindermann, où elle pensa demeurer assez longtemps car sa santé reprenait le dessus. Et quelques semaines après qu'elle fut entrée en service, une terrible maladie à peine concevable la frappa de nouveau, qui la rendit grabataire et la tint impitoyablement, pendant des mois entiers, dans son lit: tout le côté gauche de sa poitrine s'était couvert de plaies énormes, purulentes, qui gagnaient sans cesse les régions avoisinantes. Les bains brûlants, préconisés par le Dr. Ulbricht, les remèdes ordonnés par le Dr. Grülich, n'eurent d'autre effet que de l'affaiblir encore plus, et de provoquer des syncopes violentes. On la jugea perdue, elle comprit qu'elle ne vivrait pas et demanda le saint viatique, qui lui fut apporté le 21 décembre 1865 par le P. Storch.
Magdalene se trouvait chez son aîné Josef, qu'elle n'avait jusque là voulu incommoder par sa présence. Mais comme la famille Kindermann ne pouvait la garder, elle avait dû prendre une décision. Son frère l'avait conduite chez lui en la traînant dans une petite carriole à bois, le 15 décembre 1865.
Après le viatique, trois semaines à peine supportables s'écoulèrent encore. Le 12 janvier 1866, les douleurs devinrent si vives que la malade ne cessait de gémir, de pleurer et de pousser des cris. Vers minuit, Josef se chargea encore une fois de la changer de place dans le lit, puis une amie, Veronika, prit place auprès de Magdalene, qui était mourante et commençait à délirer. Veronika était fille de la famille Kindermann, qui avait hébergé la pauvre malade pendant plus d'un an, et avait, au cours des mois, appris à aimer Magdalene.
Vers deux heures du matin - c'était le 13 janvier -, Veronika entendit avec étonnement la malade lui demander: "Veronika? peux-tu m'asperger d'eau bénite?" La jeune garde-malade fit ce qui lui était demandé, et Magdalene reprit: "Veux-tu prier pour moi? Le Memorare de saint Bernard, s'il te plaît." Et Veronika pria à haute voix. Puis la malade dit d'une voix étonnamment ferme: "Dieu n'a pas l'intention de me charger plus que je ne peux supporter... Là où est la plus forte épreuve, là est aussi la plus grande grâce avec le secours de Dieu... Et maintenant, va... va te reposer un peu!"
Veronika s'étendit sur un banc près du lit, reposant la tête sur l'oreiller. Puis un bruit la réveilla. Elle sursauta et demanda ce qui se passait. Magdalena, qui veillait depuis plus d'une heure, la tranquillisa, lui disant: "Ce n'est qu'un ouvrier qui se lève, pour son travail."
Quatre heures du matin sonnent, en ce samedi 13 janvier 1866. Soudain, la pauvre chambre s'emplit d'une clarté éblouissante et au pied du lit, la lumière est plus vive! La malade, qui ne dort toujours pas, sursaute et réveille sa compagne en s'écriant. "Regarde cette clarté, Veronika!" Mais Veronika peut seulement percevoir la faible lueur de la misérable lampe à huile. Elle se tourne vers sa compagne, et la voit agitée d'un tremblement, sorte de frisson régulier, comme une feuille, une brindille dans le vent, affolée, croyant venue la dernière heure, elle s'agrippe à son amie malade, qui s'écrie doucement: "Oh, je la vois, je la vois!" Veronika ne voit rien et n'ose rien dire.
Au pied du lit, une jeune Dame tout de blanc vêtue se tient, au coeur d'une lueur à la fois très douce et éclatante. Elle porte une longue robe d'un blanc immaculé qui tombe en plis droits de ses épaules jusqu'à terre: les pieds sont couverts par le vêtement, qui cache aussi sous ses plis la main droite tendue vers Magdalene et la gauche posée sur son coeur. Le Visage de la Dame est d'une beauté, d'un éclat indescriptibles, encadré de blonds cheveux qui tombent en boucles sur les côtés, et couronné d'un diadème d'or rayonnant.
Tombée en extase à la vue de Marie, car c'est elle, Magdalene s'écrie à l'adresse de son amie: "Oh, agenouille-toi! ne vois-tu donc pas? Elle est là!" Mais Veronika, stupéfaite, ne voit rien; la malade la force, d'un geste de la main, à tomber à genoux.
Magdalene se met à pleurer comme un petit enfant, et son amie en fait autant. Les rayons projetés par l'apparition deviennent à ce point aveuglants que la malade doit mettre ses mains devant ses yeux. Son amie lui prend les poignets et l'oblige à regarder, l'éclat, insupportable jusque là, s'est transformé en une lumière très douce, suave, qui inonde les membres perclus de Magdalene. Celle-ci se met alors à chanter, les mains jointes:
"Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur!"
A peine a-t-elle achevé ce premier verset du magnificat, que l'apparition dit en souriant:
"Mon enfant, guéris à présent!"
Et elle disparaît en souriant, d'un coup, tandis que la chambre retombe dans une étrange obscurité. Magdalene poursuit la fin du magnificat, puis demande à Veronika de se hâter d'aller chercher son frère Josef et sa belle-soeur. Dès que ceux-ci arrivent, presqu'endormis encore, Magdalena leur dit: "Je suis guérie, Elle me l'a dit!" On cherche, en vain, à la calmer, car on croit qu'elle a eu une crise de délire. Mais elle insiste, en s'écriant: "Arrêtez, la Mère de Dieu a dit que je suis guérie!"
La voix de Magdalene est ferme, et son visage auparavant crispé de douleur, est reposé et frais. Elle dit: "Faites donc de la lumière!" Et elle découvre son côté en se tournant vers le mur, arrache vivement le pansement et le tend à Veronika: l'amas des bandages est encore souillé de pus humide et de sang frais, mais la peau est comme refaite, régénérée, seule demeure une toute mince blessure, qui cicatrisa en quelques jours... Toutes les douleurs ont disparu, la guérison est radicale, complète, irréversible.
Alors, aux témoins bouleversés, la jeune fille quelques instants auparavant très malade encore, raconte ce qu'elle a vu et ce qu'elle a entendu. La guérison est là, signe d'authenticité indéniable. Tous prient alors avec ferveur. Puis Magdalena se lève; Josef, par réflexe, veut la soutenir, elle rit très joyeusement... Dès le lendemain, Magdäle put faire la lessive et cirer le parquet, ce que son frère lui interdit toutefois... Dès le 15 janvier, elle était en pleine forme.
Le curé fut averti des événements, et jugea indispensable d'alerter l'évêque au plus vite, car la guérison ne resterait très longtemps cachée. En effet, la pauvre petite chambre devint le but de pélérinages de plus en plus nombreux: les catholiques de Bohème, de Saxe et de Franconie accoururent sur cette aire mariale; de nombreuses grâces furent accordées par la Vierge Marie, des guérisons de plus en plus fréquentes furent enregistrées! Le vicaire Storch réunissait scrupuleusement tous les témoignages, qui composèrent bientôt neuf gros cahiers. Il les transmit à l'autorité ecclésiastique, pour le dossier que l'on devait constituer en vue de l'enquête. L'enquête canonique fut impartiale, mais très sévère; les conclusions définitives de la commission instituée par l'évêque quand celui-ci eut reçu les documents furent toutes positives: les faits étaient surnaturels, et il était à souhaiter qu'une chapelle d'action de grâces fût élevée.
Bientôt le modeste sanctuaire reçut tant de pèlerins, venus même d'Amérique et de pays très éloignés, qu'on envisagea d'élever, si l'évêque le Leimeritz ne faisait pas d'objection, une église plus vaste qui pût réunir tous les visiteurs. L'abbé Storch se fit, sur le conseil même de l'évêque, l'apôtre infatigable du "Lourdes allemand" et de la Vierge, invoquée sous le vocable "Salus Infirmorum" (Salut des Infirmes).
En 1868, un architecte de Vienne se proposa pour établir les plans d'une église à deux tours, assez vaste et élégante: un seul voeu était la condition de ce travail proposé à titre gracieux: que son nom restât inconnu de tous. Les travaux commencèrent en 1870, et l'ouvrage fut achevé en 1885. Dès 1884, près de la basilique presque achevée, un monastère de Rédemptoristes fut entrepris. Les premiers Pères s'y établirent le 8 octobre 1875, trois jours plus tard, le nouveau sanctuaire, pouvant abriter 4000 presonnes, fut consacré par l'évêque de Leimeritz, au cours d'une cérémonie solennelle.
L'évêque n'avait pourtant pas voulu reconnaître formellement l'authenticité même des apparitions, à cause des persécutions que le Kulturkampf commençait à susciter sur tout le territoire allemand. Les faits de Philippsdorf sont dans une situation comparable, par exemple, aux apparitions de Marpingen, un peu postérieures, ou de Pellevoisin, en France.
En 1926, le sanctuaire fut élevé au rang de Basilique Mineure, par le pape Pie XI qui lui accorda de nombreuses indulgences et des privilèges de Sainte-Marie Majeure.
Malheureusement, Philippsdorf passa bientôt sous le contrôle des communistes, qui s'acharnèrent contre le sanctuaire, malgré la résistance obstinée des fidèles. Au cours de la nuit du 12 au 13 avril 1950, des militaires envahirent les lieux, chassèrent les derniers Pères Rédemptoristes, saccagèrent le bâtiment conventuel et la basilique, profanèrent toute l'abside et le maître-autel, et ne laissèrent derrière eux que ruine et désolation... Et, à partir de ce jour, le pélérinage fut supprimé officiellement par les autorités civiles. Mais nous savons que Marie écrasera enfin la tête du serpent: Philippsdorf retrouvera alors sa première splendeur.
Christian Rouvières
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