Le silence qui enserra la vie de Rosalie Püt, stigmatisée de Lümmen, fut suffisant pour qu'après sa mort son souvenir et son nom même s'effaçassent de la mémoire des habitants du village où elle vécut pendant cinquante ans. Rarement âme mystique a illustré aussi parfaitement cette horror factorum supernaturalium (horreur des faits surnaturels) si caractéristique de notre siècle! Le naturalisme a depuis longtemps été érigé en unique système et en instrument d'investigation et d'examen des "phénomènes mystiques", c'est-à-dire de ce qui relève du surnaturel; l'objectivité scientifique et la vertu de prudence ont été balayées en ce délicat domaine par l'irruption incontrôlée des sciences humaines, et ce avec la complicité, voire l'approbation même d'une hiérarchie timorée ou imbue d'idées novatrices... Par cette première brêche qui permettait un assaut direct de la foi dans ses manifestations en apparance fort secondaires, le rationalisme put se glisser et prendre racine dans l'esprit des clercs et, voilant puis faussant leur intelligence, s'exercer de façon systématique dans les domaines les plus fondamentaux de la foi: la théologie, certes et l'exégèse surtout.
Rosalie Püt naquit en Belgique, près Hasselt, au village flamand de Lümmen; elle vit le jour en la fête de Notre-Dame du Mont Carmel, le 16 juillet 1868 et fut la troisième des neuf enfants de pieux et très pauvres paysans. Dès sa septième année, sa mère la confia à une famille de Viversel qui avait promis de s'occuper de la fillette à condition que celle-ci se rendît utile dans quelques travaux domestiques.
En réalité, la petite Rosalie fut accablée de toutes sortes de tâches parfois très lourdes; elle était chargée du soin des enfants, devait mener un troupeau de vaches au pâturage après avoir fait le ménage le matin, etc. ... Comme l'école n'était nullement obligatoire à cette époque, Rosalie n'y fut envoyée qu'occasionellement, en hiver, lorsque le relentissement des activités permettait à ses gens de se débarrasser d'elle sans que la bonne marche, l'ordre et les finances de la maison en pâtissent.
Tout de suite, la jeune maîtresse de maison a pris la fillette en grippe: les coups pleuvaient, sous le plus futile prétexte, notamment quand les enfants s'éveillaient la nuit en pleurant. Rosalie prit l'habitude de dormir à même le sol, une pierre sous la tête: elle s'assurait ainsi un sommeil assez léger pour être interrompu par les premiers cris des moutards, ce qui lui permettait d'être au pied de leur lit et de les consoler avant que leur complainte parvînt aux oreilles des parents. Ainsi formée par la nécessité du moment à une rude ascèse involontaire, Rosalie fut préparée à entrer dès l'heure de Dieu dans les voies où Il la conviait.
Âme précocement silencieuse, Rosalie ne parla de rien de tout cela; elle ne dit pas non plus que sa maîtresse se querellait fréquemment avec chacun de ses proches et dressait son époux contre tel ou tel, notamment contre sa propre mère qu'il lui arrivait de battre devant la fillette horrifiée. Ces querelles domestique attristaient l'enfant et son père constata qu'elle s'anémiait et se renfermait. Il la plaça dans une autre famille, à Eversel: ce ne fut guère mieux, le travail était aussi pénible et une vieille femme acariâtre et gâteuse lui rendit la vie fort dure.
Courageuse et pieuse, Rosalie ne paraissait à personne une enfant singulière: piété solide, bon sens pratique et discrétion vont souvent de pair! Elle fut admise à la première communion à l'âge de neuf ans et demi, comme toutes ses compagnes. Rien de particulier ne marqua ce jour, en apparence, du moins. En fait, Rosalie fut projetée, presque avec violence, dans le monde surnaturel: le Christ lui apparut et lui montra une croix aux branches rudes ornées d'une couronne de roses. Comme l'enfant admirative tendait les mains vers ces fleurs, elle se fit violence et pria les mains jointes pour ne pas céder à l'attrait de la guilande parfumée: alors les corolles faîches et veloutées firent place au lacis ensanglanté d'une couronne d'épines, Rosalie s'en empara et la mit sur sa tête résolument; elle reçut au même instant l'impresson des stigmates! Tout épouvantée, l'enfant supplia le Seigneur: il fallait que nul ne vît ces plaies. Et Jésus promit que rien ne serait perceptible aux autres.
A partir de ce jour, Rosalie éprouva tous les vendredis des souffrances d'autant plus terribles, que personne ne les soupçonnait et qu'on profitait de ce jour précisément pour l'écraser de travail!
En même temps, les phénomènes mystiques, bien malgré la volonté de la fillette, se multipliaient et infléchissaient insensiblement le cours qu'elle avait souhaité donner à sa vie. Une très vive faim de l'Eucharistie la tenaillait sans répit, et elle pleurait de ne pouvoir se rendre à l'église autant qu'elle l'eût souhaité: finalement, elle reçut la consolation de communions mystiques qu'un archange de la suite de la Vierge Marie venait lui apporter toutes les nuits, plus ou moins tard. Le messager céleste était précédé par le tintement d'une frêle clochette argentine, et souvent accompagné de deux ou trois âmes du Purgatoire pour lesquelles il demandait des prières. M. Duchâteau, qui desservait la paroisse de Lümmen, et qui était le confesseur de Rosalie, fut une fois le témoin bouleversé d'un de ces passages surnaturels.
La fillette d'à peine dix ans désirait aussi, de tout son coeur et sans bien en comprendre toute la signification, faire voeu de chasteté. Elle put s'ouvrir de ce souhait à son confesseur, qui donna l'autorisation pour un an: "J'aimerais être pure comme la Sainte Vierge, disait Rosalie, et, ainsi, Dieu recevrait plus volontiers ma prière en faveur des pauvres âmes du Purgatoire."
Au bout d'un an, Rosalie songait à reconduire son voeu. Etant fort occupée par son travail et pressée par sa maîtresse de faire plus vite ce qui lui était demandé, elle vit soudain devant elle la croix apparaître, avec une guirlande de roses tout ouvertes et d'une blancheur éclatante qui ornaient le bras droit; sur le bras gauche, une couronne de piquants acérés et ensanglantés; au milieu, toutes fraîches et fragiles, des roses rouges en boutons, à peine sur le point d'éclore. Très laborieuse, et n'attachant pas d'importance inconsidérée à toutes ces manifestations, la fillette poursuivit discrètement sa tâche et détourna les yeux. Mais c'était en vain, la vision s'imposait...
Rosalie relata le fait à son confesseur, qui l'expliqua ainsi: "Le Seigneur veut te donner à porter une lourde croix et sa couronne d'épines: tu auras beaucoup à souffrir, mais l'acceptation, l'accueil des peines et des souffrances permettra aux boutons de roses de s'épanouir pour former la couronne qui sera ta récompense au ciel. Quant au collier de roses blanches, c'est le don de ta pureté et de ta chasteté. Tu pourras renouveler ton voeu après la communion d'aujourd'hui."
Pendant la communion de ce jour, Rosalie vit dans chaque hostie une croix, symbole de celles à chaque âme proposées par le Seigneur. Voyant près d'elle une très vieille femme qui communiait, et, en même temps, la croix qui lui était présentée à son insu, Rosalie fut émue de compassion, et elle se tourna vers Dieu pour qu'il daignât la charger de ce fardeau à la place de la pauvre femme. Elle inaugura ainsi un des aspects les plus touchants, les plus cruels ausi, de sa mission: la substitution de souffrances pour en soulager ses frères et faire ainsi acte de réparation.
Âme éminemment eucharistique et mariale, âme favorisée de grâces mystiques insignes, Rosalie a été surtout une âme réparatrice. Son grand désir, longtemps mûri dans le silence et la prière, était de se consacrer à Dieu comme religieuse, et comme missonnaire même, si cela était possible. Dieu a d'autres vues sur les âmes qu'Il se choisit, que celles, même les plus louables, qu'Il semble leur suggérer. Au terme d'une adolescence fervente que nul ne soupçonnait si profondément empreinte par Dieu, Rosalie se prépara à entrer dans un couvent d'Anvers: tout était réglé, tout allait se faire et tout s'écroula d'un coup... Une mystérieuse et atroce maladie s'abbatit sur la jeune fille et la terrassa en quelques jours, elle qui n'avait été, dans toute sa vie, que rarement fatiguée. Bientôt réduite à la dernière extrémité, semblant arriver au terme de sa vie, elle fut administrée, le jour même où son entrée en communauté avait été fixée. La seconde partie de son existence s'ouvrait...
Rosalie Püt ne mourut point. La maladie prit possession de son corps: paralysie, crampes douloureuses furent les séquelles d'une foudroyante infection généralisée. Pendant trois ans le corps lutta, balloté entre la vie et la mort, le mal se stabilisa enfin: rivée à son lit, la malade n'en devait plus sortir que tous les vendredis, mystérieusement, pour être associée à la Passion et au crucifiement du Christ.
Tous les vendredis, les plaies des stigmates s'ouvrirent, larges et profondes, répandant flots de sang et effluves odorants. L'extase douloureuse se produisit, régulièrement, de 9 à 13 heures. La paralysée était comme projetée hors de son lit et tombait face contre terre sur le dur carrelage de la petite chambre, puis mimait les trois actes de la Rédemption: les chutes, la mise en croix à midi précis, la mort enfin... Toutes les extases, sans exception, s'achevaient par une prière d'oblation en faveur des âmes du Purgatoire.
Plusieurs phénomènes accompagnaient ce noyau mystique de la participation à la croix: don des langues (elle priait en araméen, en latin, en allemand, en français, en grec, toutes langues qui, bien évidemment, lui étaient inconnues); missions extraordinaires en bilocation (plusieurs exemples en furent attestés); discernement des reliques et des objets bénits ou consacrés etc.... Rosalie Püt présente des analogies remarquables avec la stigmatisée de Dülmen, Anne-Catherine Emmerick, et ce non seulement sur le plan des charismes; comme la visionnaire allemande, Rosalie Püt fut favorisée, dans ses extases, de révélations fort intéressentes sur la vie du Seigneur et celle de la Vierge; nous n'en possédons malheureusement que de minces données, car Rosalie n'écrivait pas et elle n'eut à son chevet nul Brentano qui se souciât de prendre en note ses paroles. Quelques comptes-rendus, notamment sur la mort de la Vierge Marie à Ephèse et son Assomption, soulignent la concordance dans les moindres détails entre les révélations d'Anne Catherine Emmerick et celles de Rosalie Püt. Fort significatif aussi est le fait que la stigmatisée de Dülmen apparaissait fréquemment à Rosalie, lui apportant consolation et encouragements.
A Lümmen, la stigmatisation de Rosalie fut à peine connue; sa famille, par discrétion, jeta un voile de silence autour d'elle, si bien que toute la communauté villageoise se borna à constater le retrait de celle qui n'avait toujours été qu'une pauvre servante à gages. Il y eut assez de commères en mal de parlotte pour insinuer que la jeune fille était devenue une sorte de sorcière, que la famille n'acceptait presque pas de visiteurs, que "quelque chose n'allait pas chez les Püt." Il y eut également des calomnies grossières, comme les curieux insatisfaits sont capables d'en inventer. La famille elle-même ne semble pas avoir saisi la portée des faits, et la mère Püt, souvent énervée et agressive envers les rares visiteurs, a donné, bien involontairement, prise à tous les ragots de la campagne.
La plupart des visiteurs étaient des prêtres mis dans la confidence par le confesseur de Rosalie: franciscains d'Hasselt, religieux allemands et belges. Quelques laïcs purent assister parfois aux extases du vendredi; on vit, dans l'humble et triste maisonnette des évêques et des personnages politiques venus clandestinement pour chercher au chevet de la stigmatisée lumières ou conseils. Le pape Pie X recevait une information régulière sur Rosalie et lui adressa sa bénédiction pontificale à l'occasion du 25° anniversaire de sa stigmatisation. Elle fut également visitée par Mgr Van Rossum et par l'écrivain J. Joergensen.
A l'évêchée de Liège, on s'émut quelque peu en apprenant les faits de Lümmen: prudence et silence furent recommandés au clergé, il n'y eut pas de démarche officielle toutefois: aucune enquête n'a été ouverte sur Rosalie Püt. L'évêchée défendit aux prêtres de Lümmen et des environs de porter chaque jour la communion à la stigmatisée, ce qui lui fut une douloureuse épreuve qu'elle accepta sans aucun soupir, sans un murmure. Dans les années précédant la première guerre mondiale, une violente campagne de presse fut menée dans divers journaux religieux contre Rosalie et son entourage: calomnies insensées et tentatives d'explication naturelle de tout le phénomène de stigmatisation. Ces articles, tous rédigés par des personnes qui n'avaient jamais approché la stigmatisée, n'eurent pour effet que de faire connaître ce qui était resté jusque là caché au plus grand nombre. Cela ne dura pas longtemps.
La guerre éclata, le silence retomba, encore plus dense qu'auparavant, sur Rosalie Püt. Elle ne parlait presque plus, sa vie entière était offertre en Holocauste; les souffrances s'accrurent avec la guerre, généreusement demandées par la stigmatisée "si cela peut contribuer à vous faire aimer plus, ô mon Jésus, et à faire cesser cette horrible boucherie!"
Le conflit cessa enfin. Rosalie était devenue énorme, le corps enflé par l'hydropisie était plié en deux, les membres noués. Ayant fait le sacrifice de sa vie, la stigmatisée de Lümmen mourut dans la nuit du 17 au 18 février 1919, après une agonie très brève et parfaitement lucide. Son visage fut, pendant quelques jours, d'une étonnante beauté.
Rosalie Püt naquit en Belgique, près Hasselt, au village flamand de Lümmen; elle vit le jour en la fête de Notre-Dame du Mont Carmel, le 16 juillet 1868 et fut la troisième des neuf enfants de pieux et très pauvres paysans. Dès sa septième année, sa mère la confia à une famille de Viversel qui avait promis de s'occuper de la fillette à condition que celle-ci se rendît utile dans quelques travaux domestiques.
En réalité, la petite Rosalie fut accablée de toutes sortes de tâches parfois très lourdes; elle était chargée du soin des enfants, devait mener un troupeau de vaches au pâturage après avoir fait le ménage le matin, etc. ... Comme l'école n'était nullement obligatoire à cette époque, Rosalie n'y fut envoyée qu'occasionellement, en hiver, lorsque le relentissement des activités permettait à ses gens de se débarrasser d'elle sans que la bonne marche, l'ordre et les finances de la maison en pâtissent.
Tout de suite, la jeune maîtresse de maison a pris la fillette en grippe: les coups pleuvaient, sous le plus futile prétexte, notamment quand les enfants s'éveillaient la nuit en pleurant. Rosalie prit l'habitude de dormir à même le sol, une pierre sous la tête: elle s'assurait ainsi un sommeil assez léger pour être interrompu par les premiers cris des moutards, ce qui lui permettait d'être au pied de leur lit et de les consoler avant que leur complainte parvînt aux oreilles des parents. Ainsi formée par la nécessité du moment à une rude ascèse involontaire, Rosalie fut préparée à entrer dès l'heure de Dieu dans les voies où Il la conviait.
Âme précocement silencieuse, Rosalie ne parla de rien de tout cela; elle ne dit pas non plus que sa maîtresse se querellait fréquemment avec chacun de ses proches et dressait son époux contre tel ou tel, notamment contre sa propre mère qu'il lui arrivait de battre devant la fillette horrifiée. Ces querelles domestique attristaient l'enfant et son père constata qu'elle s'anémiait et se renfermait. Il la plaça dans une autre famille, à Eversel: ce ne fut guère mieux, le travail était aussi pénible et une vieille femme acariâtre et gâteuse lui rendit la vie fort dure.
Courageuse et pieuse, Rosalie ne paraissait à personne une enfant singulière: piété solide, bon sens pratique et discrétion vont souvent de pair! Elle fut admise à la première communion à l'âge de neuf ans et demi, comme toutes ses compagnes. Rien de particulier ne marqua ce jour, en apparence, du moins. En fait, Rosalie fut projetée, presque avec violence, dans le monde surnaturel: le Christ lui apparut et lui montra une croix aux branches rudes ornées d'une couronne de roses. Comme l'enfant admirative tendait les mains vers ces fleurs, elle se fit violence et pria les mains jointes pour ne pas céder à l'attrait de la guilande parfumée: alors les corolles faîches et veloutées firent place au lacis ensanglanté d'une couronne d'épines, Rosalie s'en empara et la mit sur sa tête résolument; elle reçut au même instant l'impresson des stigmates! Tout épouvantée, l'enfant supplia le Seigneur: il fallait que nul ne vît ces plaies. Et Jésus promit que rien ne serait perceptible aux autres.
A partir de ce jour, Rosalie éprouva tous les vendredis des souffrances d'autant plus terribles, que personne ne les soupçonnait et qu'on profitait de ce jour précisément pour l'écraser de travail!
En même temps, les phénomènes mystiques, bien malgré la volonté de la fillette, se multipliaient et infléchissaient insensiblement le cours qu'elle avait souhaité donner à sa vie. Une très vive faim de l'Eucharistie la tenaillait sans répit, et elle pleurait de ne pouvoir se rendre à l'église autant qu'elle l'eût souhaité: finalement, elle reçut la consolation de communions mystiques qu'un archange de la suite de la Vierge Marie venait lui apporter toutes les nuits, plus ou moins tard. Le messager céleste était précédé par le tintement d'une frêle clochette argentine, et souvent accompagné de deux ou trois âmes du Purgatoire pour lesquelles il demandait des prières. M. Duchâteau, qui desservait la paroisse de Lümmen, et qui était le confesseur de Rosalie, fut une fois le témoin bouleversé d'un de ces passages surnaturels.
La fillette d'à peine dix ans désirait aussi, de tout son coeur et sans bien en comprendre toute la signification, faire voeu de chasteté. Elle put s'ouvrir de ce souhait à son confesseur, qui donna l'autorisation pour un an: "J'aimerais être pure comme la Sainte Vierge, disait Rosalie, et, ainsi, Dieu recevrait plus volontiers ma prière en faveur des pauvres âmes du Purgatoire."
Au bout d'un an, Rosalie songait à reconduire son voeu. Etant fort occupée par son travail et pressée par sa maîtresse de faire plus vite ce qui lui était demandé, elle vit soudain devant elle la croix apparaître, avec une guirlande de roses tout ouvertes et d'une blancheur éclatante qui ornaient le bras droit; sur le bras gauche, une couronne de piquants acérés et ensanglantés; au milieu, toutes fraîches et fragiles, des roses rouges en boutons, à peine sur le point d'éclore. Très laborieuse, et n'attachant pas d'importance inconsidérée à toutes ces manifestations, la fillette poursuivit discrètement sa tâche et détourna les yeux. Mais c'était en vain, la vision s'imposait...
Rosalie relata le fait à son confesseur, qui l'expliqua ainsi: "Le Seigneur veut te donner à porter une lourde croix et sa couronne d'épines: tu auras beaucoup à souffrir, mais l'acceptation, l'accueil des peines et des souffrances permettra aux boutons de roses de s'épanouir pour former la couronne qui sera ta récompense au ciel. Quant au collier de roses blanches, c'est le don de ta pureté et de ta chasteté. Tu pourras renouveler ton voeu après la communion d'aujourd'hui."
Pendant la communion de ce jour, Rosalie vit dans chaque hostie une croix, symbole de celles à chaque âme proposées par le Seigneur. Voyant près d'elle une très vieille femme qui communiait, et, en même temps, la croix qui lui était présentée à son insu, Rosalie fut émue de compassion, et elle se tourna vers Dieu pour qu'il daignât la charger de ce fardeau à la place de la pauvre femme. Elle inaugura ainsi un des aspects les plus touchants, les plus cruels ausi, de sa mission: la substitution de souffrances pour en soulager ses frères et faire ainsi acte de réparation.
Âme éminemment eucharistique et mariale, âme favorisée de grâces mystiques insignes, Rosalie a été surtout une âme réparatrice. Son grand désir, longtemps mûri dans le silence et la prière, était de se consacrer à Dieu comme religieuse, et comme missonnaire même, si cela était possible. Dieu a d'autres vues sur les âmes qu'Il se choisit, que celles, même les plus louables, qu'Il semble leur suggérer. Au terme d'une adolescence fervente que nul ne soupçonnait si profondément empreinte par Dieu, Rosalie se prépara à entrer dans un couvent d'Anvers: tout était réglé, tout allait se faire et tout s'écroula d'un coup... Une mystérieuse et atroce maladie s'abbatit sur la jeune fille et la terrassa en quelques jours, elle qui n'avait été, dans toute sa vie, que rarement fatiguée. Bientôt réduite à la dernière extrémité, semblant arriver au terme de sa vie, elle fut administrée, le jour même où son entrée en communauté avait été fixée. La seconde partie de son existence s'ouvrait...
Rosalie Püt ne mourut point. La maladie prit possession de son corps: paralysie, crampes douloureuses furent les séquelles d'une foudroyante infection généralisée. Pendant trois ans le corps lutta, balloté entre la vie et la mort, le mal se stabilisa enfin: rivée à son lit, la malade n'en devait plus sortir que tous les vendredis, mystérieusement, pour être associée à la Passion et au crucifiement du Christ.
Tous les vendredis, les plaies des stigmates s'ouvrirent, larges et profondes, répandant flots de sang et effluves odorants. L'extase douloureuse se produisit, régulièrement, de 9 à 13 heures. La paralysée était comme projetée hors de son lit et tombait face contre terre sur le dur carrelage de la petite chambre, puis mimait les trois actes de la Rédemption: les chutes, la mise en croix à midi précis, la mort enfin... Toutes les extases, sans exception, s'achevaient par une prière d'oblation en faveur des âmes du Purgatoire.
Plusieurs phénomènes accompagnaient ce noyau mystique de la participation à la croix: don des langues (elle priait en araméen, en latin, en allemand, en français, en grec, toutes langues qui, bien évidemment, lui étaient inconnues); missions extraordinaires en bilocation (plusieurs exemples en furent attestés); discernement des reliques et des objets bénits ou consacrés etc.... Rosalie Püt présente des analogies remarquables avec la stigmatisée de Dülmen, Anne-Catherine Emmerick, et ce non seulement sur le plan des charismes; comme la visionnaire allemande, Rosalie Püt fut favorisée, dans ses extases, de révélations fort intéressentes sur la vie du Seigneur et celle de la Vierge; nous n'en possédons malheureusement que de minces données, car Rosalie n'écrivait pas et elle n'eut à son chevet nul Brentano qui se souciât de prendre en note ses paroles. Quelques comptes-rendus, notamment sur la mort de la Vierge Marie à Ephèse et son Assomption, soulignent la concordance dans les moindres détails entre les révélations d'Anne Catherine Emmerick et celles de Rosalie Püt. Fort significatif aussi est le fait que la stigmatisée de Dülmen apparaissait fréquemment à Rosalie, lui apportant consolation et encouragements.
A Lümmen, la stigmatisation de Rosalie fut à peine connue; sa famille, par discrétion, jeta un voile de silence autour d'elle, si bien que toute la communauté villageoise se borna à constater le retrait de celle qui n'avait toujours été qu'une pauvre servante à gages. Il y eut assez de commères en mal de parlotte pour insinuer que la jeune fille était devenue une sorte de sorcière, que la famille n'acceptait presque pas de visiteurs, que "quelque chose n'allait pas chez les Püt." Il y eut également des calomnies grossières, comme les curieux insatisfaits sont capables d'en inventer. La famille elle-même ne semble pas avoir saisi la portée des faits, et la mère Püt, souvent énervée et agressive envers les rares visiteurs, a donné, bien involontairement, prise à tous les ragots de la campagne.
La plupart des visiteurs étaient des prêtres mis dans la confidence par le confesseur de Rosalie: franciscains d'Hasselt, religieux allemands et belges. Quelques laïcs purent assister parfois aux extases du vendredi; on vit, dans l'humble et triste maisonnette des évêques et des personnages politiques venus clandestinement pour chercher au chevet de la stigmatisée lumières ou conseils. Le pape Pie X recevait une information régulière sur Rosalie et lui adressa sa bénédiction pontificale à l'occasion du 25° anniversaire de sa stigmatisation. Elle fut également visitée par Mgr Van Rossum et par l'écrivain J. Joergensen.
A l'évêchée de Liège, on s'émut quelque peu en apprenant les faits de Lümmen: prudence et silence furent recommandés au clergé, il n'y eut pas de démarche officielle toutefois: aucune enquête n'a été ouverte sur Rosalie Püt. L'évêchée défendit aux prêtres de Lümmen et des environs de porter chaque jour la communion à la stigmatisée, ce qui lui fut une douloureuse épreuve qu'elle accepta sans aucun soupir, sans un murmure. Dans les années précédant la première guerre mondiale, une violente campagne de presse fut menée dans divers journaux religieux contre Rosalie et son entourage: calomnies insensées et tentatives d'explication naturelle de tout le phénomène de stigmatisation. Ces articles, tous rédigés par des personnes qui n'avaient jamais approché la stigmatisée, n'eurent pour effet que de faire connaître ce qui était resté jusque là caché au plus grand nombre. Cela ne dura pas longtemps.
La guerre éclata, le silence retomba, encore plus dense qu'auparavant, sur Rosalie Püt. Elle ne parlait presque plus, sa vie entière était offertre en Holocauste; les souffrances s'accrurent avec la guerre, généreusement demandées par la stigmatisée "si cela peut contribuer à vous faire aimer plus, ô mon Jésus, et à faire cesser cette horrible boucherie!"
Le conflit cessa enfin. Rosalie était devenue énorme, le corps enflé par l'hydropisie était plié en deux, les membres noués. Ayant fait le sacrifice de sa vie, la stigmatisée de Lümmen mourut dans la nuit du 17 au 18 février 1919, après une agonie très brève et parfaitement lucide. Son visage fut, pendant quelques jours, d'une étonnante beauté.
Soeur Anne-Marie
Centre BETHANIA - Chaussée de Waterloo 25, B-5000 Namur, "Rosa Mystica", Janiver-Février 1978
Centre BETHANIA - Chaussée de Waterloo 25, B-5000 Namur, "Rosa Mystica", Janiver-Février 1978
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